Perspectivia
Lettre1865_06
Date1865-03-25
Lieu de créationFrancfort [sur le Main]
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesGerson, famille
Müller, Victor
Deforge,
Burnitz, Karl Peter
Lieux mentionnésParis
Œuvres mentionnéesF Copie, quatrième version des Noces de Cana de Véronèse (1562)
S Stilleben mit totem Reh (nature morte au chevreuil)
S Gemüseverkäuferin - Marché aux légumes/ Gemüsemarkt (marchande de légume)
S Stilleben mit zwei Wildenten und einem Karpfen auf heller Steinbank (nature morte avec deux canards sauvages et une carpe sur un banc de pierre)
S Jäger und Hirsch (chasseur et cerf)
F Le toast et La vérité

Francfort [sur le Main]

25 mars [18]65

Mon cher Fantin,

Je viens vous écrire un mot, pas une réponse à votre dernière lettre, je n’étais pas à mon aise et préoccupé de tant de choses qu’il m’a été impossible de faire cela ; il me faudra aussi pour cela quelques heures où je suis bien disposé à écrire, car la difficulté d’écrire en français, s’augmente à chaque jour. Les juifs GersonRecommandés par Scholderer, M. et Mme Gerson et leur fille Bertha, jeune élève de Müller, ont rendu visite à Fantin au Louvre. Voir lettres 1865_02 et 1865_03. m’ont parlé longuement de vous et sont enchantés de votre bonté pour eux. Il me paraît que les tableaux anciens n’ont pas fait trop d’impression sur la petite, moi, je ne crois pas au goût des femmes pour l’art et encore moins de celui d’une juive, cependant elle est trop jeune pour en comprendre quelque chose. Je lui ai demandé quels tableaux lui avait plus le mieux, alors elle me nomma sans réfléchir ceux que nous aussi aimons le plus, ce n’est pas difficile pour elle, quand on a un guide comme vous. Elle a cependant un grand talent, il n’y a pas de doute, mais si ce talent se développera et de quelle manière, voilà une chose dont je n’ai pas d’idée.

J’ai réfléchi, je n’aurais pas dû leur parler de vous, ils ne le méritent pas, cependant j’ai pensé en même temps que cela me donnerait des nouvelles de vous, c’est pourquoi je l’ai fait. Ils ont parlé de votre copie,Entre 1856 et 1867, Henri Fantin-Latour réalise sur commande cinq copies de l’œuvre de Paul Véronèse, Les noces de Cana, huile sur toile, 666 x 990 cm, 1562-1563, Paris, musée du Louvre. Il est ici question de la quatrième version des Noces de Cana, F.263, commandée par Stauros Dilberoglou en 1865. je crois que cela leur a plu beaucoup, mais n’ont pas compris la manière du procédé, il paraît que vous mettez d’abord la couleur partout et puis faites les détails, ce que vous n’avez pas fait autrefois.

Je suis bien curieux de voir votre peinture, j’espère que ce sera bientôt. Vous auriez dû m’écrire un mot de votre tableau,Le toast ! Hommage à la Vérité représentait autour d’une table Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier et Whistler, les camarades habituels de Fantin. Le peintre lui-même montre à ses amis la figure de la Vérité et les engage à lui porter un toast. Fantin allait finalement décider de détruire son œuvre à la suite du Salon. maintenant ce sera déjà à l’exposition ; écrivez-moi les détails là-dessus, vous aurez dû avoir bien du travail dans le dernier temps, je n’ai pas d’idée du tout que vous devez achever en si peu de temps, pour moi ce serait une chose impossible à faire.

J’ai bien pensé à ce que vous avez dit de ma peinture, c’est à dire de ma première nature morte,Scholderer, Stilleben mit totem Reh, B.34. il est sûr que ce n’est pas une peinture claire et nette ; il y a trop à voir la volonté de produire le ton, mais c’est aussi un commencement, j’espère que mon second tableau vous plaira mieux ;Scholderer, Gemüseverkäuferin, B.47. je crois que c’est beaucoup mieux et le chasseur avec le chevreuil, c’est mieux encore que celui-ci.Scholderer, Jäger und Hirsch, B.48. Maintenant, je fais une petite nature morte : des canards sauvages et un poisson,Scholderer, Stilleben mit zwei Wildenten und einem Karpfen auf heller Steinbank, B.51. c’est bien je crois, j’ai fait encore des progrès, c’est assez ; on sent que le procédé est bon, au moins qu’il est nécessaire dans le chemin qu’on a choisi, n’est-ce pas vrai ? Je crois que je suis sur un bon chemin, mais il est long d’arriver enfin à la simplicité. Je voudrais savoir un mot sur nos tableaux, nous ne savons pas tous les troisScholderer fait ici référence à Burnitz et Müller qui comme lui avaient envoyé des œuvres au Salon de 1865. s’ils sont arrivés à Paris ; notre spéditeur ne le sait pas non plus, mais je pense bien qu’ils sont arrivés, puisque vous m’auriez bien écrit dans l’autre cas. Müller vous prie aussi de passer chez Desforges et de lui faire dire si son tableau est arrivé. Vous avez bien du travail avec vos choses mon cher ami, vraiment je suis presque honteux de vous faire tant de travail, je sais combien vous avez besoin de votre temps, on ne devrait pas charger des amis avec cela, seulement, ils le font mieux que des étrangers.

Avez-vous vu les tableaux de Burnitz,Les tableaux dont il est ici question sont La prairie et Le champ de blé. Voir Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure, et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 15 avril 1867, Paris, 1867, n° 338 et 339. ne sont-ils pas bien remarquables ? Si simples, comme le ciel du grand est bien et le ton tranquille dans le paysage ? C’est une bonne peinture, quoique je ne suis pas tout à fait content avec lui, je trouve qu’il y manque quelque chose ; c’est à dire qui l’empêche d’arriver à la perfection, pas assez réfléchi dès le commencement et les devants ne sont pas assez faits, c’est à dire ils sont faits d’une manière pas assez délicate, trop esquissé, enfin la fin y manque, ou il y a le commencement juste, aussi la fin se trouvera. Mais ce n’est pas comme cela avec sa peinture, aussi il lui manque la force de se donner du mal en travaillant, il est paresseux pendant tout l’hiver il ne fait que fumer sa pipe et se cuire du café et du chocolat, cela m’éreinte bien quelquefois, sous l’influence de Müller il n’aurait pas fait ces choses, il faut l’agacer continuellement pour le mettre en rage, cependant sa nature est originelle, il n’apprend que par lui-même. Maintenant assez pour aujourd’hui, je vous dis adieu, écrivez-moi un petit mot. Votre ami. O.S.