Perspectivia
Lettre1868_01
Date1868
Lieu de créationKirnbach b. Hausach Gr. Baden
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesManet, Edouard
Courbet, Gustave
Scholderer, Ida
Müller, Victor
Corot, Jean-Baptiste Camille
Delacroix, Eugène
Ritter
Wagner, Richard
Colin
Beethoven, Ludwig van
Mozart, Wolfgang Amadeus
Steinhardt, Karl-Friedrich
Schreyer, Adolphe
Millet, Jean-François
Lieux mentionnésParis
Munich
Düsseldorf
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesS Schwarzwaldmühle in Kirnbach bei Schiltach (moulin de la Forêt-Noire à Kirnbach près de Schiltach)
S Landschaft im Kinzigtal mit einem Paar Ochsen und Figuren, Haus im Hintergrund (paysage de Kinzigtal avec quelques bœufs et figures, une maison à l'arrière-plan)
S Viehstudien (étude de bétail)
S Jungvieh im Stall (jeune bétail dans l'étable)
S Landschaft im Kinzigtal (paysage de Kinzigtal)
S Landschaft, Abendstimmung im Kinzigtal (paysage, atmosphère du soir à Kinzigtal)

Kirnbach b. Hausach Gr. Baden

[Fin de l’été 1868]

Mon cher Fantin,

Voilà cinq mois depuis que j’ai quitté ParisScholderer se rend à Paris avec Hans Thoma de la mi-avril à la mi-mai 1868. Ils rencontrent Burnitz, qui travaille alors dans l’atelier d’Adolph Schreyer, et visitent ensemble le Louvre. Ils vont à deux reprises voir l’exposition Courbet rouverte en mai au pavillon Courbet place de l’Alma et Scholderer présente Courbet ainsi que Fantin à Thoma. Durant ce séjour parisien, Scholderer travaille dans l’atelier de Fantin et dans celui de Steinhardt. et vous n’avez pas un mot de moi. Je compte que vous qui avez eu tant de fois patience avec moi, vous ne m’en voulez pas cette fois non plus. La raison que je n’ai pas écrit, est vraiment que je ne suis pas capable de m’exprimer en français ; j’avais tant de choses à vous dire après que j’avais quitté Paris, tant de choses que je ne vous avais pas dites et plus que je [ne] pouvais pas vous dire, parce que je ne savais pas les dire, tout cela m’encourageait peu à vous écrire ; ce qui c’est passé dans ma vie depuis ce temps n’est pas très intéressant.

D’abord, je suis retourné à Düsseldorf, j’ai déménagé et puis j’allais à la campagne à l’endroit où je suis encore en ce moment ; une petite interruption de la noce de ma sœur,Ida, la sœur d’Otto Scholderer, avait épousé Victor Müller le 20 juin 1868. m’a fait retourner pour quelques jours à Francfort. La chaleur épouvantable m’a fait bien souffrir cet été, elle m’a fait encore revenir mon mal d’estomac qui heureusement m’a quitté maintenant, mais qui m’a fait perdre bien du temps. J’ai fait quelques paysages assez grands, j’enverrai un au Salon prochain, un moulin près d’un ruisseau.Scholderer, Schwarzwaldmühle in Kirnbach bei Schiltach, B.79. Les autres avec des hommes et des vaches etc.L’été 1868, Scholderer réalise plusieurs paysages avec du bétail et des personnages voir B.72, B.73, B.74, B.75, B.76. Je n’ai pas fait beaucoup, j’avais de grands projets qui ne se sont pas réalisés. Qu’est-ce que vous avez fait ? Vous avez dû bien souffrir de la chaleur à Paris ou peut-être avez-vous été aussi quelque temps à la campagne ?

Quant à l’avenir je suis toujours bien chancelant, je ne sais pas ce que je dois faire et toujours, c’est l’argent qui m’empêche d’exécuter mon unique désir, c’est de venir à Paris, la seule place où je voudrais vivre comme artiste. Ma sœur m’a écrit de Munique et Müller voudrait bien que j’y vienne. Où je suis maintenant, je n’aurai à faire qu’un petit voyage pour y aller, et il est probable que j’irai pour quelques semaines, mais je ne crois pas et je ne désire pas que j’y resterai plus longtemps.

J’ai vu à Paris que la vie artistique représente, quoiqu’on ne le voit pas si clair comme autrefois, encore le progrès, les sensations de Manet, vos idées que vous avez partagées avec moi, m’ont donné à réfléchir et je voudrais venir à bout à développer cela. Pourtant, cependant je peux dire que je suis encore en ce moment sous la grande influence des tableaux de Courbet, et je crois que quant à lui, je ne me trompe pas et j’aurai toujours la même opinion de lui.

Corot m’a plu bien aussi dans ses deux tableauxEn 1868, Corot avait présenté au Salon Matin à Ville-d’Avray, 1868, huile sur toile, 102 x 155,4 cm, Rouen, musée des Beaux-Arts et Le Gué, le soir, non localisé. de l’exposition. Mais pas tout à fait ; je n’aime pas sa nature qui est forte et douce en même temps, je n’ai pas d’inclination pour l’individu, sans cela sa peinture est toujours la même chose, c’est une qualité, mais il n’est pas nécessaire d’élargir cette qualité en sorte qu’on prend chaque fois le sujet dans la nature, Corot a fallu faire comme cela, car sans cela il n’aurait pas été capable de nous montrer ce qu’il est, mais justement je vois dans cela que son talent ne va que jusqu’à un certain point ; un homme borné comme lui est, plus souvent, bien plus capable à enseigner les autres qu’un homme de qualités vastes (je n’ai pas trouvé d’autre mot) comme je crois Courbet les possède.

J’ai regretté bien de n’avoir pas vu les tableaux de Millet,Millet n’avait rien envoyé au Salon de 1868, il est cependant récompensé d’un Premier Prix de peinture et de dessin « Hors Concours », c’est vraisemblablement la raison pour laquelle Scholderer devait penser que Millet avait exposé. je sais bien que c’est un homme très important, peut-être il est en général le plus important, parce qu’il réunit les deux qualités qui font l’artiste une grande science et avec cela la nature, la naïveté du sentiment, Courbet n’a rien que la naïveté et justement autant de science pour faire ressortir sa naïveté, mais il n’a pas besoin de plus de science [que] ceux qui enseignent beaucoup aux autres, qui donnent un élan aux jeunes gens capables. Je me rappelle le tableau de ce jeune homme (au Salon) qui a représenté le portrait de sa sœur avec un petit garçon, elle écrivait je pense, j’ai pensé souvent à cela, c’est un talent bien fin et vrai.

Les tableaux de ColinAu Salon de 1868, Alexandre Colin, grand admirateur de Delacroix, expose : La joie du foyer et « Qui donne à Dieu prête aux pauvres ». Voir Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure, et lithographie des artistes vivants exposés au Palais des Champs-Élysées le 1er mai 1868, Paris, 1868, n° 552 et 553. m’ont fait une drôle d’impression, je trouve c’est un peu faux ce qu’il fait, il y manque absolument l’individu, le corps lui manque, c’est justement la même chose que lui-même, comme sa tête, on n’y voit pas une seule forme nette, l’un de ses yeux n’est pas comme l’autre, tout y est difforme, seulement un regard fantastique et brillant, qui est aussi dans ses tableaux, mais il n’y a pas de repos, pas un endroit où l’œil peut rester, mais cependant pourtant de très bonnes qualités, mais on ne peut pas se réjouir de ces tableaux. De la Croix est son idéal et il peut aussi très bien se trouver tout entier dans ce dernier, c’est un grand artiste je trouve qu’il représente la qualité artistique entière (si on peut dire cela) de sa Nation, mais nous avons déjà parlé à Paris de lui. Je me rappelle toujours le fois ou j’ai dîné avec vous dans le passage, depuis j’ai désiré tant de fois de pouvoir continuer l’entretien que nous avons eu après dîner, je veux espérer que nous pouvons bientôt faire la continuation.

Je n’ai pas écrit à Ritter non plus. Si un jour vous passez, chez eux, saluez-les bien de ma part ; j’ai regretté de n’avoir plus vu Ritter au chemin de fer, le jour de mon départ. Müller m’a parlé du dernier œuvre de Wagner les Meistersänger,Die Meistersinger von Nürnberg (Les maîtres chanteurs de Nuremberg), opéra en 3 actes de Richard Wagner, avait été créé le 21 juin 1868 à Munich sous la direction de Hans Bülow Schott. Ritter les connaîtra sans doute, Müller dit que c’est la plus belle chose de notre époque, cela valait bien Beethoven et Mozart, Müller est compétent en cela, aussi le sujet, le texte de l’opéra que Wagner a inventé lui-même, doit être un chef d’œuvre.

Maintenant adieu, mon cher Fantin, je vous prie bien de m’écrire bientôt. Je resterai encore ici quinze jours et je vous écrirai après si je vais à Munic ou autre part. Si vous devez rencontrer Steinhardt ou Schreyer saluez-les de [ma] part. Votre ami O. Scholderer