Perspectivia
Lettre1869_02
Date1869-12-05
Lieu de créationFrancfort-sur-le-Main, Eschenheimerstrasse 29
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesWhistler, James Abbott MacNeill
Legros, Alphonse
Müller, Victor
Fantin-Latour, Jean-Théodore
Manet, Edouard
Fitz James,
Lieux mentionnésParis, galerie Lacaze
Paris
Paris, Musée du Louvre
Francfort-sur-le-Main
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Esquisse pour le portrait de la famille Fitz-James
F Un atelier aux Batignolles
S Ein Hirsch im Wald (un cerf dans la forêt)

Francfort-sur-le-Main, Eschenheimerstrasse 29

5 déc[embre] 1869

Mon cher Fantin,

Je vous remercie bien de votre bonne lettre et je regrette seulement de ne vous avoir pas écrit plus tôt pour avoir plutôt de vos nouvelles. Vos projets pour le SalonA cette date Fantin est en train de réaliser Un atelier aux Batignolles, F.409. m’intéressent beaucoup, comme vous pouvez croire, aussi je ne pense qu’à mon retour à Paris.Scholderer a quitté Paris en été 1869, il y revient fin décembre 1869. Il travaille dans l’atelier de Steinhardt, puis il loue un atelier personnel et part au printemps ou début de l’été 1870 pour la Suisse. Comme je voudrais ne plus revenir en Allemagne ! J’emploierai toutes mes forces pour arriver à cela, une fois retourné à Paris. J’espère y être à la fin de l’année, il me semble que je vous ai dit cela en quittant Paris ; j’avais bien le désir de revenir plus tôt, mais en même temps je craignais que cela dura aussi longtemps. Ce sont toujours les affaires d’argent qui nous gênent dans la vie. Maintenant que j’ai économisé pendant quelques mois, je peux retourner à Paris. Me conseillez-vous d’en apporter plutôt à Paris ? Aussi j’ai peint mon cerfScholderer, Ein Hirsch im Wald, B.93. qui cependant n’a pas très bien réussi, mais j’espère que le paysage ajouté, il sera mieux, il me semble que le tableau n’est pas assez bon pour le Salon. Vous aurez sans doute fait l’esquisse de votre tableau,Fantin-Latour, Un atelier aux Batignolles, F.409, dans lequel Scholderer figure. aussitôt venu à Paris je serai prêt à poser, je crois que vous ferez bien de commencer plutôt qu’à l’année dernière, car pour un tableau si grand et si important, il faut avoir du temps. Je trouve qu’un morceau de peinture doit être fait d’un coup, mais qu’entre ces coups il faut avoir bien le temps pour réfléchir sans se fatiguer, j’ai même fait encore dernièrement l’observation que quand on est fatigué, on ne peut pas faire de l’art et je me suis bien proposé à ne plus me fatiguer. J’ai fait une petite nature morte en deux heures, dont je suis plus content que de toutes les choses que j’ai faites dans les deux dernières années. Je suis bien curieux de voir la disposition de votre tableau, selon votre description cela me paraît très bien, bien dans le sens comme je voudrais le faire aussi.

J’espère que vous aurez suivi mon conseil et vendre vos natures mortes plus chères qu’à l’ordinaire, et je dis avec Manet : il faut vendre cela très cher ! N’avez-vous pas encore des nouvelles de Whistler, et Legros ? Je demande et j’oublie que j’aurai bientôt votre réponse mutuellement sur tout cela, cependant vous m’écrivez peut-être encore un petit mot.

J’ai assez bien travaillé et dans le dernier temps, je commence à regagner la liberté vis-à-vis de la nature. J’ai réfléchi encore bien sur Manet et sur toutes nos idées, et je commence aussi à en profiter, je n’ai pas cru qu’à mon âge, je serais encore une fois bouleversé dans bien des idées sur la peinture, cependant bouleversé est un mot trop fort, mais j’ai quitté il me semble quelques préjugés qui m’ont exagéré dans la société de Müller, qui sans cela avait une très bonne influence sur moi. J’ai résolu, comme j’ai dit déjà, de peindre plus vite, plus d’un seul coup ; vraiment il faut faire des études pour arriver à cela, mais je crois pour mon talent et mes facultés, c’est ce que je peux faire de mieux.

Comme l’été est passé vite, il me semble qu’il n’y a pas longtemps que nous avons attendu ensemble avec instance le printemps et voilà encore l’hiver ; il fait très froid chez nous, j’espère que le printemps sera plus beau que le dernier. Il me semble que vous avez beaucoup travaillé dans le dernier temps toutes ces choses dont vous me parlez. Vous avez sans doute commencé les noces de Cana.Entre 1856 et 1867, Henri Fantin-Latour réalise sur commande cinq copies de l’œuvre de Paul Véronèse, Les noces de Cana, 1562-1563, huile sur toile, 666 x 990, Paris, musée du Louvre. En 1869 Fantin commence une sixième version des Noces de Cana qu’il ne terminera pas et conservera chez lui. Avez-vous commencé les portraits pour Mme Fitz James ?Par l’entremise du peintre français Albert de Balleroy (1828-1873), Fantin reçoit en 1867 la commande du portrait de la duchesse douairière de Fitz-James entourée de ses quinze petits-enfants. Fantin n’achèvera finalement jamais ce projet, seule une esquisse est conservée. Esquisse pour le portrait de la famille Fitz-James, F.294. Fantin renonce en effet l’année même de la commande à exécuter ce portrait. Il est donc étonnant que Scholderer y fasse encore référence ici, à moins qu’il n’ait pas été mis au courant de la décision de Fantin. Comme je désire voir la galerie de Mr. Lacaze au Louvre, on la rangera sans doute dans les autres tableaux. Eh bien ce sera en quatre semaines à peu près comme j’espère ! Adieu, à revoir. Saluez bien Monsieur votre père et Manet et sa famille. Votre ami

O. Scholderer