Perspectivia
Lettre1872_02
Date1872-08-15
Lieu de créationBull Inn, Streatly near Reading Berkshire
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesWhistler, James Abbott MacNeill
Cazin, Jean-Charles
Edwards, Edwin
Legros, Alphonse
Millais
Manet, Edouard
Edwards, Ruth
Dubourg, Victoria
Fantin-Latour, Jean-Théodore
Jacquemart, Jules Ferdinand
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Londres
Paris
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF Un coin de table
F Lilas dans un verre
F Lilas (lilas dans une boule de verre, sur fond clair)
S Szene an der Eisenbahn, zwei Damen und ein Kind mit Hund (Scène sur la voie ferrée, deux dames et un enfant avec un chien)
S Szene am Ufer der Themse (scène sur les bords de la Tamise)
S Junge Dame in einem Kahn (jeune femme dans une barque)

Bull Inn, Streatly near Reading Berkshire

15 août 187[2]

Mon cher Fantin,

Cela commence à me paraître incroyable que je vous laisse sans aucune nouvelle depuis de si longtemps, et que je n’ai pas répondu à votre bonne et aimable lettre qui se date depuis bien longtemps.La lettre de Fantin-Latour ici évoquée n’est pas conservée. Pardonnez-moi, mais c’est moi qui en éprouvera plus les mauvaises conséquences puisque vos lettres en seront plus rares, aussi je ne puis pas vous expliquer pourquoi je ne vous ai pas écrit, c’est peut-être la fatigue qui en est la cause, vous vous rappelez que je l’ai éprouvée déjà très fort étant à Paris ; en revenant à Londres, j’avais tant de choses à faire à arranger des courses, des ennuis à finir des tableaux sans être disposé – enfin, tout cela m’a ôté la tranquillité pour écrire, plus tard je voulais attendre jusqu’à j’aurai vu Whistler, pour vous donner en même temps des nouvelles de lui et j’ai bien tardé de le voir, enfin je l’ai vu, c’était avant d’aller à la campagne où je suis maintenant. Je me suis dit enfin qu’ici j’aurai bien le loisir à vous écrire, mais peu de jours après mon arrivée je suis tombé malade, une maladie de gorge très grave qui m’a empêché de travailler pendant un mois, j’ai recommencé à travailler un peu et voilà les intestins qui commencent à se révolter et j’écris cette lettre au lit. Voilà toutes mes excuses.

Cazin m’a dit qu’il vous a vu à Paris j’ai eu le grand plaisir de le voir constater le succès que votre tableau a eu au Salon,Fantin-Latour, Un coin de table, F.577. j’espère le voir à Londres, Cazin a dit qu’il [y] avait des choses merveilleuses, chef-d’œuvre de peinture, surtout il a aussi parlé avec admiration de la nature morte. J’ai vu vos dernières natures mortes chez Edwards,Fantin envoie une cinquantaine de tableaux de fleurs aux Edwards cette année-là, parmi lesquels se trouvent Lilas dans un verre F.576 et Lilas, F.606. il y avait de fort belles, c’est-à-dire elles l’étaient toutes, une merveilleuse était les lilas dans le verre, c’était à rire tellement ce tableau a paru vrai. Aussi les dernières roses étaient magnifiques. Le succès que vous avez avec ces tableaux est incontestable et je commence à être de l’avis que vous feriez bien de venir ici, je crois même qu’il faut que vous veniez. Vous pourriez bien plus exploiter votre succès, et vous savez que les Anglais aiment à connaître l’artiste dont les œuvres les ont enchantés, et votre nom sera fait en peu de temps – je vous dis cela bien froidement sans y joindre de l’imagination, car sans cela je ne vous conseillerais jamais à venir en Angleterre, je n’aime pas la vie anglaise et pas non plus les Anglais et moins les Anglaises, je les trouve toutes horribles. Je crois que Paris m’a gâté un peu, mon rêve est de quitter l’Angleterre et je retournerai en Allemagne même avec le plus grand plaisir, cependant ce serait bête si je voulais m’abandonner à ces inclinations, on vit mieux que partout à Londres, c’est-à-dire il y a plus de ressources qu’à chaque autre part du monde, peut-être on commence à s’habituer aussi à la vie avec le temps. Je sais que vous aimez plus l’Angleterre, alors venez, quel plaisir ce sera pour moi.

Cazin vous aura raconté que j’ai été refusé à l’Academy,Scholderer a proposé à la Royal Academy l’œuvre aujourd’hui disparue Szene an der Eisenbahn, zwei Damen und ein Kind mit Hund, B.110a. Il est possible d’avoir une idée de sa composition, grâce à un dessin préparatoire qui est conservé à la Graphische Sammlung im Städelschen Kunstinstitut de Francfort-sur-le Main., Inv. n° 16629. je m’en suis douté, l’année prochaine, je ferai quelques démarches pour m’en préserver, il le faut ici, je n’ai plus le temps pour attendre mon succès par ma peinture. J’ai fait très peu depuis que j’ai quitté Paris, repris des anciens tableaux que j’ai envoyés aux Expositions de Manchester et Liverpool.

J’ai vu Whistler, il m’a très bien reçu et il était très aimable, il me charge de vous saluer bien de sa part, il ne vous écrivait pas parce qu’il ne savait qu’écrire, comme il disait. Il s’est abandonné entièrement à ses variations de couleurs, comme il nomme ses sujets, la plupart des femmes avec différentes draperies, c’est très fin ce qu’il fait, pourtant il me manque la faculté de me mettre entièrement dans ses idées, c’est à dire, je ne comprends pas qu’on puisse faire exclusivement ces choses, plutôt d’imagination que de nature (à ce qu’il me paraît) dans un cercle si étroit, mais je crois que l’isolement de tout autre artiste produit cela. Il a parlé cependant avec grande estime de Legros et de quelques artistes anglais les derniers comme dessinateurs, il n’aime pas Millais, en somme son langage n’était pas du tout excentrique. Il était avec sa maîtresse,Maud Franklin, nouveau modèle et maîtresse de Whistler. une personne très laide et désagréable pour moi. Je ne peux pas le comparer avec Manet, je ne trouve que des rapports superficiels entre eux, il est plus artiste que Manet, mais n’a pas le talent, pas la grâce de celui-ci, il y a des fausses notes avec toute la finesse dans ses tableaux que Manet ne ferait jamais – c’est mon impression mais je suis loin de vouloir le juger.

Quant à Manet qu’il croit que je n’ai pas cru un moment ce que vous croyez, qu’il m’a offensé en retirant son invitation à dîner, je le connais si bien, il m’est si sympathique qu’autrefois, je voudrais voir de sa peinture nouvelle, qu’est-ce qu’il fait.

Je ne vous ai pas parlé encore de Legros. J’étais le voir à sa maison et ne le trouvais pas, alors il est venu me voir le même jour et était plein de complaisance et très aimable, il est venu plusieurs fois me voir m’a fait cadeau d’un tableau et d’une photographie d’après son tableau à la Royal AcademyEn 1872, Legros expose à la Royal Academy The Sermon, huile sur toile, 75 x 94 cm, Édimbourg, National Galleries of Scotland. (qui m’a plu beaucoup, toujours plein de talent, mais toujours la même chose, sans aucun progrès ou tentation d’une idée nouvelle). Il a évité de parler de vous, quoique moi je ne me gênais pas de le faire.Legros n’est plus en bons termes avec Fantin depuis 1865. Il se brouillera également avec Whistler en avril 1867. Il dit du mal de tout le monde, mais il est toujours très amusant et souvent frappant, il me semble qu’il éprouve qu’il est seul et manque d’amis, il prétend que Edwards lui a fait beaucoup de tort à Paris parmi tous ses amis.

Il y a longtemps que je n’ai vu Edwards, nos chemins commencent à se séparer, je n’ai plus de sympathie pour lui et encore moins pour sa femme, Cazin le nomme un éreinteur et c’est le mot pour lui ; leur vanité n’est plus à satisfaire, Madame E. est toujours en rage enfin, ils sont si loin d’être agréables, que je crois que nos relations n’auront pas une grande durée. Avec cela ils croient être charmants et elle surtout me dégoûte beaucoup, en ce moment elle ne pense qu’à JacquemartJules Ferdinand Jacquemart (1837-1880), aquarelliste et graveur français. dont tous les deux sont enchantés. Il est difficile de vous donner une idée de tout cela, ce sont des choses que presque on ne devrait pas écrire, seulement une chose encore, c’est en voulant m’être utile, ils m’ont présenté partout comme pauvre diable parmi leurs connaissances, de sorte que je me suis aperçu même dans le club de cela, vous savez comme cela est nuisible surtout en Angleterre, et je n’ai rien à faire que de me retirer de tous les gens que j’ai connus par Edwards et il y en ont parmi eux qui auraient pu m’être très utiles, c’est un esprit diabolique qu’ils ont tous les deux dont probablement ils ne peuvent pas se rendre compte eux-mêmes, mais qui est très dangereux pour les autres. Comme artiste, je n’ai pas de rapport avec lui, il fait des choses qui sont tellement bêtes et il manque de tact en tout rapport. Cela vous paraît peut-être exagéré ce que j’ai écrit sur eux, et je peux vous dire que cela me fait de la peine de m’expliquer comme cela, ce que je fais cependant seulement vis-à-vis de vous, car Edwards était très aimable pour nous, et tous les deux nous ont rendu des services, c’est malheureux que je n’ai pas plus de sympathie pour eux, mais assez de cela qui certainement ne vous fera pas plaisir d’entendre.

Quand viendrez-vous à Londres, peut-être à l’automne, ce serait le meilleur temps pas trop tôt où tout le monde est à la campagne et tout est fermé. Écrivez-moi un mot, il me tarde bien d’entendre de vos nouvelles et quelques mots de vous me feraient grand plaisir.

25 août.

Encore un retard avec ma lettre, je suis mieux maintenant et commence à travailler, ma femme avec un fond de Tamise, elle en robe bleue verte, un chapeau blanc en soleil et des sujets dans ce genre,La description du sujet par Scholderer évoque Szene am Ufer der Themse, B.111a et Junge Dame in einem Kahn, B. 112. c’est magnifique de faire cela, on se croit devenu plus jeune et j’espère de faire quelque chose de joli. Ma femme est admirable en tout, je ne peux pas vous dire comme elle m’a soigné pendant ma maladie et maintenant elle fait tout pour moi, elle me pose comme personne ne le ferait, le temps est beau, la nature est charmante ! J’ai fait aussi quelques esquisses qui me paraissent bien, il faut que je vienne à bout avec cette lettre enfin, j’ai oublié encore de vous dire comme le succès de Mademoiselle DubourgEn 1872, l’État acquiert Fleurs et fruits que Victoria Dubourg a exposé au Salon (Archives nationales, fonds CP, versement des ministères, F/21/*7642). comme votre élève m’a fait plaisir et vous prie de la congratuler de ma part. Cazin me l’a raconté en même temps, cela vous aura fait bien plaisir. Maintenant adieu et pardonnez-moi mon long silence et écrivez-moi si ce n’est qu’un mot seulement. Adieu, saluez bien M. votre père, Mademoiselle Dubourg, aussi Manet et sa famille, ma femme vous envoie ses compliments.

Votre Ami O. Scholderer