Perspectivia
Lettre1876_05
Date1876-05-19
Lieu de création8 Clarendon Road Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Edwin
Edwards, Ruth
Deschamps, Charles W.
Whistler, James Abbott MacNeill
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Degas, Edgar
Dubourg, Victoria
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Paris, Salon
Œuvres mentionnéesF L'anniversiversaire
F Fruits (Raisin sortant d'un panier et grenade)
F Giroflées et cerisier sauvage en fleurs
F Fleurs (bouquet de dahlias)
S Dame am Strand  ; wohl Luise Scholderer in Littlehampton (dame à la plage, vraisemblablement Louise Scholderer à Littlehampton)
F Portrait de Mr et Mrs Edwin Edwards

8 Clarendon Road Putney, Surrey

19 mai 1876

Mon cher Fantin

Je vous remercie bien de votre bonne lettre que j’ai reçue il y a plus d’un mois. Elle m’a fait grand plaisir. J’ai été si content que votre tableau est si bien réussi. Mais cette satisfaction a été bien trouvée en entendant dernièrement que ces canailles lui ont encore donné une si mauvaise place à l’Exposition.Fantin-Latour, L’anniversaire, F.772 est très mal placé au Salon, beaucoup trop haut pour qu’on puisse bien le voir. En revanche, la nature morte (Fleurs, Bouquet de dahlias, F.766), à laquelle Fantin attache beaucoup moins d’importance, reçoit les faveurs de la cimaise. Mon cher ami, je crois que cela toujours la même chose, vous êtes toujours trop en avant des idées régnantes, il y auront toujours très peu qui vous comprendront, je vois bien comme moi j’ai changé pendant les dernières années et que je n’ai plus aucune admiration pour les nouvelles tendances, quoique je crois que je fais des progrès et qu’on me jugera bientôt d’être resté en arrière. C’est bien malheureux d’un côté, mais je crois cependant qu’avec le temps on rendra justice à ceux qui sont comme cela, malheureusement cela peu venir trop tard et le temps est venu où vous devriez compter sur votre succès. Mais j’espère que vous êtes maintenant au-dessus de cela, et que votre bonne humeur n’en a pas souffert trop. Malheureusement les affaires vont mal partout, je n’ai pas eu de commandes de portraits j’y ai compté un peu, on a vu mes tableaux à l’Académie, la TimesLes dépouillements du Times de mai 1876 nous ont permis de repérer plusieurs articles au sujet du Salon organisé par la Royal Academy (1er mai 1876 p. 12, 8 mai p. 9, 22 mai p. 6, 31 mai p. 5), mais aucun ne mentionne Scholderer. en a parlé, mais personne ne pense en ce moment ici à dépenser de l’argent pour l’art.

J’ai bien regretté que la vente des vos tableaux a été aussi si mauvaise cette année, la cause en est bien le manœuvre des Edwards, en même temps Deschamps ne vous fait aucun bien, il est bête, il dit qu’il aime moins vos derniers tableaux – parce qu’il ne peut les acheter et il y en a des personnes dans le public qui entendent cela et disent la même chose. J’ai déjà combattu tant que je pouvais cette idée stupide, mais il est sûr que les Edwards ont dégoûté pas mal les acheteurs et les Anglais sont drôles, c’est bien difficile de les convaincre qu’ils ont tort. Maintenant malgré que les Edwards ont diminué les prix, ils ne se trouvent pas d’acheteurs. Je vous dis tout franchement et sans crainte ce que je viens d’entendre, je crois bien que les mauvaises affaires dans le commerce y ont beaucoup contribué, mais toute cette affaire avec les Edwards me semble fort dangereuse, j’ai envoyé moi-même quelques amis chez Mad. Edwards pour voir vos tableaux, mais ils s’acharnent à dire que les tableaux sont encore beaucoup trop chers.

Maintenant pour les derniers tableaux, je n’en suis pas du tout de leur avis. Mais j’aurais du vous dire plutôt combien les derniers, et aussi les grands bouquets de Dahlias, m’ont fait plaisir, et je suis ravi des raisins sortant du panier avec la pomme de grenade,Fantin-Latour, Fruits (Raisin sortant d’un panier et grenade), F.765. cela m’a vivement touché, les giroflées avec la fleur de cerisier est un chef-d’œuvreFantin-Latour, Giroflées et cerisier sauvage en fleur, F. 782. et c’est vraiment drôle comme ces deux choses, qui comme on dirait conventionnellement, ne vont pas bien ensemble, sont rendues harmonieuses par la peinture, mais le public ne comprend pas cela, les harmonies, symphonies à la Whistler sont à la mode maintenant, et je crois qu’on n’a admiré vos roses blanches sur le fond clair, seulement pour le sujet et cela restera toujours comme cela, je me rappelle comme vos pensées sur le fond foncé, qui étaient tout ce qu’il a de mieux, ont moins plu que bien d’autres choses de vous, chaque imbécile parle de harmonies de couleurs, de symphonies en blanc ou autre couleur et se croit très avancé dans l’art moderne, je reviens aux affaires, je crois que ce public qui achète aime plus vos petits tableaux, de petits bouquets de roses une ou deux, n’importe quelle autre fleur, et je crois que ce serait la manière à le rattraper un peu, aussi les prix ne seront pas si hauts par conséquent et on peut mieux les payer aussi dans un temps où les affaires vont mal.

Mais j’espère mon cher Fantin que vous êtes parfaitement au-dessus de cela, et que vous pensez maintenant à vous marier. Vous savez qu’il ne faut jamais se marier dans un temps où on a trop de succès, c’est mieux quand le succès arrive plus tard, on le goûte plus, dites-moi si ce je n’ai pas raison et c’est la meilleure chose que vous pourriez faire ? J’aimerais tant à vous voir marié, et je suis persuadé que vous trouveriez dans la vie de famille un charme et un repos que vous n’avez pas connu dès à présent, vous ne savez combien mon plaisir serait grand, je peux dire que je le souhaite pour moi.

Ma santé est assez mauvaise, je suis nerveux et ma digestion est toujours très mal, si j’avais gagné seulement un peu d’argent, je serais venu pour vous voir pour quelques jours. Ma femme souffre des maux dont les femmes souffrent dans un tel état, principalement c’est aussi la digestion, cela fait que nous font, comme on dit, une paire misérable en ce moment. Le temps est aussi affreux qu’on puisse le souhaiter et l’hiver ne nous a pas encore quittés, et je suis certain en peu de temps nous aurons une chaleur affreuse. Je travaille peu en ce moment, des têtes, encore une petite chose d’après ma femme ;Cette petite chose d’après la femme de Scholderer n’est pas identifiée, à moins qu’il ne s’agisse de Dame am Strand ; wohl Luise Scholderer in Littlehampton, B.153. L’œuvre a été datée de 1872 d’après un dessin représentant un motif analogue, mais elle est classée dans le catalogue raisonné dans l’année 1876. avec mes deux portraits commencés, je dois faire une interruption de plusieurs mois, ce qui est très désavantageux. Écrivez-moi bientôt un mot, mon cher Fantin, je voudrais être avec vous, pour parler de tout, dites-moi ce qu’on dit de vos tableaux au Salon, je n’ai rien entendu, je ne vois personne.

Mme Edwards vous aura sans doute écrit que votre tableauFantin-Latour, Portrait de Mr et Mrs Edwin Edwards, F.738. a eu une très bonne place ici, le contraste qu’il fait parmi les tableaux anglais est très grand, j’aurais cependant aimé que l’éclairage vienne du côté droit comme dans le tableau ; je crois que cela a beaucoup d’admirateurs parmi ceux qui s’y connaissent un peu. Sur l’académie il n’y a rien à dire, c’est généralement mauvais. J’ai voulu vous parler des danseuses de Degas qui, je ne nie pas, m’ont fait de l’impression, qu’en dites-vous, et pourtant j’ai si peu de sympathie pour ces tableaux, comme pour celui qui les fait, mais cela me paraît d’un fort grand talent, cependant il y a plus d’habileté cachée qu’on ne pense. Adieu, bien des choses de ma femme à vous ainsi qu’à Mlle Dubourg et de ma part aussi et à sa famille. Que faites-vous en ce moment ? Adieu, bien des choses de ma femme.

Votre ami.

O. Scholderer