Perspectivia
Lettre1882_04
Date1882-09-15
Lieu de créationHildesheim
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
David
Hague, Joshua Anderson
Hamer, W. E.
Chardin, Jean-Baptiste Siméon
Dubourg, Victoria
Scholderer, Viktor
Whistler, James Abbott MacNeill
Millais
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Dubourg, Charlotte
Lieux mentionnésLondres, Royal Academy of Arts
Manchester
Londres, Grosvenor Gallery, 51a New Bond Street
Paris, Salon des arts décoratifs
Manchester, Royal Manchester Institution
Œuvres mentionnéesF Portrait d'Eva Callimaki Catargi
F La lecture (portrait de Marie Fantin-Latour)
F Pivoines
S Jeune fille avec un plat de cerises ou Cherries/ Kirschen
F Solitude , mélodie de Schumann
S Fine Yarmouth  !

Hildesheim, Keswick Rd, Putney

15 sept. [18]82

Mon cher Fantin,

Je viens de retourner hier de Manchester où je suis allé pour voir l’Exposition qu’on avait justement ouverte.Exposition d’automne de 1882 organisée par la Royal Manchester Institution, voir Exhibition of Works Comprised in the Permanent Gallery of the Institution, and a Loan Collection of Paintings and Drawings, cat. exp. Manchester, Royal Manchester Institution, 1882. Depuis quelque temps déjà, cela me pèse sur le cœur et je suis plus honteux encore qu’ordinairement, de ne pas vous avoir écrit depuis si longtemps, et surtout parce que j’ai moins d’excuses cette fois, comme je flâne déjà depuis bien longtemps. Je ne vous ai pas même remercié encore de votre belle lithographie que Mme Edwards m’a donnée de votre part. Elles m’ont beaucoup plu surtout la Solitude.Fantin-Latour, « Solitude », mélodie de Schumann, H.40. La composition me plaît tant. Il me semble que maintenant vous devriez peindre en grand des sujets de cette espèce, cela ferait de beaux tableaux. J’ai moi-même beaucoup pensé à des sujets analogues, peut-être c’est l’influence de vos dessins, et je crois que si cela va, j’en ferai quelque chose de semblable pour les expositions du printemps ; je vous en parlerai plus, quand je l’aurai commencé. J’ai d’autres sujets que je veux exécuter, je veux faire maintenant des tableaux avec des sujets intéressants, comme on dit on en peut choisir ceux qui vous laissent la liberté entière de faire ce que vous voudrez.

Aussi j’ai enfin achevé mes études et recherches de l’art, et commence à penser de ne plus m’occuper de théories comme vous m’avez conseillé depuis longtemps, seulement les théories m’ont enfin appris la simplicité et souvent je dois penser au vieux David : ce n’est pas si difficile que cela. Ce qui restera toujours difficile, c’est de s’appliquer à la chose au moment et de faire aussi bien que possible ; mais assez des théories maintenant. Votre portrait a eu un grand succès à Manchester,Vraisemblablement le Portrait d’Eva Callimaki Catargi, F.1016. il y avait au moins six personnes qui voulaient l’acheter à la fois. J’ai vu votre « lecture » chez un Monsieur qui est en extase quand il vous montre votre tableau.Fantin-Latour, La lecture, F.824. Vos péoniesAnglicisme, Scholderer évoque ici un bouquet de pivoines : Pivoines, F.890. aussi de 1878 que Mme Edwards a envoyées, sont beaucoup admirées. On peut dire que votre peinture est plus comprise et admirée à Manchester que dans nulle autre part de l’Angleterre ; il y a une Société de jeunes peintres qui font très bien, surtout un qui a un talent remarquable nommé Hague,Joshua Anderson Hague (1850-1916), peintre anglais. Dans les années 1870-1880, il constitue au côté de James Hey Davies (1844-1930) et Richard Gay Somerset (1848-1928), la Manchester School qui − dans son enseignement du paysage en plein air − s’inspire de la pratique des peintres de Barbizon. mais ils prétendent aussi être élèves de la nature et j’ai peur que cela leur empêchera de faire des progrès. Un marchand de tableaux nommé HamerW.E. Hamer était un marchand de tableaux de Manchester. a beaucoup fait pour introduire votre art à Manchester, c’est un espèce de Maecène des jeunes gens et aussi ses amis, et les personnes auxquelles il vend les tableaux le respectent beaucoup et se laisser conduire de lui. C’est un homme très aimable, je crains bien que nous allons le perdre bientôt, il est très malade et paralysé, cependant encore bien actif.

J’ai eu la chance de vendre mes deux tableaux à l’Exposition, l’homme avec les poissonsScholderer, « Fine Yarmouth ! », B.217. et une fille tenant un plat avec des cerises, en costume des tableaux de Chardin ;Scholderer, Cherries / Kirschen, B.210. cela vient bien à propos puisque je n’avais à peine vendu un tableau pendant toute l’année.

(Si vous veniez à Manchester vous auriez à faire dix portraits à la fois j’en suis certain, cela vous ferait 3000 £ en un an. Est-ce que cela ne vous tend pas ?)

J’ai eu de temps en temps de vos nouvelles par Mme Edwards, j’espère que la campagne vous a fait du bien à vous et à Madame, et aussi que vous n’ayez pas travaillé tant ; je suis si content que vous aimez de plus en plus la campagne.

Nous ne sommes pas allés en Allemagne cette année, il nous semblait que le risque était trop grand de faire voyager un enfant si jeune. Victor se porte bien, je vous enverrai sa photographie ces jours-ci. Il parle bien et prononce distinctement les deux langues et est très gai. Nous parlons français quelquefois, quand il ne doit pas comprendre ce que nous disons, mais cette nouvelle langue l’amuse et le fait rire beaucoup. Le nom de la rose : gloire de Dijon l’a presque fait suffoquer de rire, et maintenant quand il est très gai, il crie à haute voix : Gloire de Dijon ! Il prononce des mots allemands bien difficiles comme Zuckerzange, Thermometer, Wasserkarren. Il commence à être bien amusant, il est très habile avec la main, enfonce très bien des tout petits clous avec le marteau et sait parfaitement scier avec la grande scie ; on doit bien le surveiller en ce moment, il grimpe partout et court vite. Il serait charmant à peindre, vous verrez cela à sa photogr., la chevelure est d’une couleur châtain doré, magnifique et le teint est blond avec des petites joues colorées et ses cils noirs donnent de la profondeur à ses yeux bleus. Il est petit, mais pas trop petit, la tête est grande pour son âge. Il sait tous ses petits poèmes par cœur et ne paraît pas être bête. Vous voyez quel miracle !

Nous nous portons assez bien, nous irons peut-être encore au bord de la mer pour quelques semaines. Mon atelier est tout en désordre, j’ai changé la construction de la fenêtre, fait peindre et mettre du papier. Mon poêle vient d’être réparé et amélioré, j’espère de sentir tous ces avantages dans l’hiver prochain.

Mme Edwards me dit que nous irons bientôt voir de nouveaux tableaux de vous. Je dois vous dire encore que les aquarelles de madame font très bien à Manchester, elles m’ont beaucoup plu et ont d’assez bonnes places, peut-être un peu trop basses qui cependant est mieux que trop haut, c’était son sort à l’Académie.

Est-ce que l’Exposition décorative a eu du succès à Paris, je voudrais bien apprendre des détails là-dessus, est-ce qu’on va la renouveler l’année prochaine ?Le Salon des arts décoratifs est pour la première fois organisé du 1er mai au 15 juillet 1882 au palais des Champs-Élysées. Voir Catalogue illustré officiel du Salon des arts décoratifs de 1882 (1re année). Union centrale des arts décoratifs, Paris, 1882. Il est également organisé en 1883.

J’ai vu ici les Impressionnistes et dois avouer que je les aimai ; cela fait du bien de voir des gens qui font de l’art, ici, il n’y en a pas. L’académie était très mauvaise, la Grosvenor mieux, Whistler avait un charmant portrait,En 1882, Whistler expose à la 6th Summer Exhibition de la Grosvenor Gallery Scherzo in Blue : The Blue Girl, YMSM.226, huile sur toile, taille et localisation inconnues, et Harmony in Black and Red, YMSM.236, huile sur toile, taille et localisation inconnues. Millais en avait un à côté, aussi mauvais qu’on puisse le voir, il a été très faible cette année, on peut dire que quelques de ses tableaux étaient franchement mauvais, aussi il ne travaille que pour l’argent.

Je vous dis adieu, j’espère que ma lettre vous trouve en bonne santé de même que Madame. Bien des choses de nous à vous, Madame et aussi à Mr et Mad. Dubourg et Mlle Charlotte nous espérons qu’ils sont tous en bonne santé.

Votre ami

Otto Scholderer