Perspectivia
Lettre1884_12
Date1884-12-31
Lieu de créationHildesheim Keswick Rds Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesEdwards, Ruth
Dubourg, Victoria
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Scholderer, Viktor
Lenbach
Whistler, James Abbott MacNeill
Chardin, Jean-Baptiste Siméon
Dubourg, Charlotte
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Lieux mentionnés
Œuvres mentionnéesS Portrait der Madame Edwards (Portrait de Madame Edwards)

Hildesheim

Keswick Rd.

Putney

31 déc. 1884

Mon cher Fantin,

Cette fois-ci je ne veux pas tarder à répondre à votre aimable lettre du 27 nov. dont je vous remercie bien. Elle m’a fait grand plaisir. En même temps, nous venons tous les trois à vous exprimer nos meilleurs souhaits à vous et Madame pour le nouvel an, et surtout nous vous souhaitons la santé, c’est toujours la chose principale !

Nous n’avions pas su que Madame a été si malade en été, Mad. Edwards ne m’en a pas parlé et nous pouvons bien nous imaginer votre inquiétude. Mais puisque nous l’avons appris si tard et que Madame est maintenant tout à fait guérie, nous ne voulons penser qu’au plaisir de la savoir en cet état. Nous savons que la Rougeole peut-être assez dangereuse, surtout chez les adultes. Nous espérons que Monsieur Dubourg aussi a recouvert sa santé, il a du souffrir beaucoup et une jambe malade est très longue à guérir !

Chez nous, il n’y a rien de nouveau, ma femme a été encore bien malade et était couchée pendant dix ou douze jours, elle s’est levée à Noël pour la première fois et commence maintenant à se sentir mieux. Victor nous a donné aussi de l’inquiétude pendant les derniers jours, mais lui aussi est mieux. Le temps a été affreux ici, des jours noirs, du brouillard et du vent de l’est, cela a influencé aussi ma santé, mais cependant je peux dire que je suis assez fort et je n’ai pas à me plaindre trop de ma santé. Quelques fois je mange un peu trop, je dois me rattraper des années où ma digestion a été si mauvaise, mais en somme je suis assez raisonnable pour un homme de cinquante, seulement je suis honteux d’avoir cet âge ! Les affaires vont un peu mieux, je vous ai dit j’ai quelques portraits à peindre et ce travail me donne moins de peine qu’autrefois, mais on a toujours à combattre la stupidité du public.

Quant au cahier de Bayreuth, je suis toujours de l’avis que votre esquisse est si charmante que je ne peux pas admirer les autres dessins.Bayreuth Festblätter, ce journal mensuel de Bayreuth, sous la direction de Hans von Wolzogen, paraît de 1878 à 1938. Il est fondé par Richard Wagner en 1878 pour être l’organe officiel du patronat de Bayreuth. En 1883, après la mort de Wagner, les rédacteurs décident la publication d’un numéro commémoratif faisant appel aux principaux artistes wagnériens d’Europe ; Fantin y publie « En mort de Richard Wagner », F.1183, voir Bayreuth Festblätter im Wort und Bild : Gesammelte Beiträge deutscher, französischer, belgischer, schweizer, spanischer, englischer, amerikanischer und italienischer Schriftsteller und Künstler, mit Facsimiles aus dem Original-Partiten Richards Wagners zum Besten der Bayreuther Festspiele herausgegeben von der Central-Leitung des Allegemeinen Richard Wagner-Vereines, Munich, 1884, p. 46. Je ne dis pas du tout que les portraits de Lenbach ne soient pas fort bien,Dans la lettre 1884_11, Fantin évoque uniquement Franz Seraph von Lenbach, Portrait de Franz Liszt, 1884, huile sur toile, 56,5 x 49,2 cm, Hambourg, Kunsthalle. cependant « superbe » me paraît un peu fort. J’aime beaucoup comme il fait les yeux, aussi la bouche est fort bien. Le contour me semble d’une simplicité un peu trop cherchée, plus simple que la nature elle même si je peux dire ainsi, et je suspecte toujours que cela est fait d’après une photographie dont il se sert beaucoup pour les portraits.

Mrs. Edwards vous a écrit peut-être que j’ai commencé son portrait en pastel.Scholderer, Portrait de Madame Edwards, B.233. Vous me demandez si j’aimais ce procédé et je peux dire que je l’aime beaucoup, il me semble aussi que cela m’a appris quelque chose. Au commencement, je l’ai fait sur du papier brun dont Whistler s’est servi comme vous le savez, maintenant j’ai trouvé un papier plus solide qui est d’un joli gris et il me semble que cela va encore mieux. Je me sers beaucoup du crayon noir, aussi des pastels plus durs en forme de crayon, puisque les autres, quoique plus beaux de couleur, sont si mous et si difficiles à traiter, je les fais persqu’entièrement comme des dessins, avec des traits. Les glacis avec le crayon noir bien tendre ou avec les couleurs foncées me paraissent bien jolis. Seulement le soir, à la lumière, les pastels me paraissent noirs et très secs. Je laisse aussi le papier en certains endroits, mais j’ai fait cela plutôt quand je me servais du papier brun, surtout dans les ombres.

Je me rappelle fort bien le portrait de Chardin dont vous parlez, vous savez comme je l’ai toujours admiré et j’y pense toujours.Chardin, Portrait de madame Chardin née Françoise-Marguerite Pouget (1707-1791), 1775, pastel, 46 x 38,5 cm, Paris, musée du Louvre. Quant à la musique, je vous assure que je n’ai aucune prétention, je sens que mon talent pour elle est très borné, je trouve que si on peut rendre une Sonate ou un air sur le violon, cela ne prouve pas qu’on a un grand talent et si j’aime les choses avec lesquelles j’ai été élevé, cela ne dit rien. Je peux même dire que la musique me fait beaucoup moins d’impressions maintenant que quand j’ai été jeune ; c’est bien triste et je le regrette bien.

Victor continue a être très amusant, il est très gai et bien intelligent, il commence à compter, à épeler et à écrire un peu, ses dessins aussi sont un peu mieux et plus variés.

Je vous dis adieu et nous espérons que cette lettre vous trouve en bonne santé. Bien des choses à vous et Madame de notre part, et nos meilleurs souhaits et compliments à la famille Dubourg.

Votre ami

Otto Scholderer