Perspectivia
Lettre1886_01
Date1886-01-04
Lieu de créationHildesheim Keswick Rds Putney
AuteurScholderer, Otto
DestinataireFantin-Latour, Henri
Personnes mentionnéesChabrier, Emmanuel
Edwards, Ruth
Hugo, Victor
Maître,
Scholderer, Luise Philippine Conradine
Jullien, Adolphe
Pigeon, Amédée
Dubourg, Hélène
Dubourg, Jean-Theodore
Dubourg, Charlotte
Chodowiecki, Daniel Nikolaus
Lieux mentionnés
Œuvres mentionnéesF Roses et pieds-d'alouette
F Esquisse du jugement de Pâris
F Autour du piano
S Selbstbildnis (autoportrait)

Hildesheim

Keswick Rd

Putney

4 janvier [18]86

Mon cher Fantin,

C’est à peine que j’ose vous écrire encore – car vous devez penser bien mal de moi, – si je ne savais pas que vous ne m’en voulez pas de ce que je ne vous ai écrit depuis si long temps, dont votre dernier cadeau, vos lithographies m’ont donné l’épreuve.Lire « la preuve ». Je ne viens de les recevoir qu’aujourd’hui, car je n’avais pas été chez Madame Edwards depuis long temps, il y avait toujours quelque chose qui m’a empêché d’aller en ville, quoique je n’ai pas l’excuse que mon travail m’a empêché. J’avais bien des remords de ne vous avoir pas même remercié de votre cadeau du cahier de Victor Hugo. Celui-ci et vos dessins, que je viens de recevoir, m’ont fait le plus vif plaisir et certainement j’ai toujours pensé bien à vous comme à l’ordinaire, mais j’avais négligé tellement ma correspondance avec mes amis, même avec ma famille que tout le monde m’en veut, et on a même cessé de me faire des reproches, un signe qu’ils ne pensent plus à moi comme autrefois. Mais je vous avoue que j’avais une telle aversion à écrire que je ne pouvais pas la vaincre. Cependant je me suis proposé de faire encore un dernier effort.

J’ai vu vos fleurs chez Mme Edwards et j’étais accompagné d’un ami, un amateur qui aime l’art, et nous avons passé une heure qui était une des plus belles pour moi depuis long temps, les dernières roses sont admirables et surtout le tableau des pieds-d’alouetteFantin-Latour, Roses et pieds-d’alouette, F.1212, exposé à la Royal Academy en 1886, Glasgow University, The Hunterian Museum and Art Gallery. m’a fait une grande impression. Vos esquisses aussi, j’ai beaucoup admiré, charmante est celle du jugement de Parîs,Fantin-Latour, Esquisse du jugement de Pâris, F.1202. je voudrais les avoir toutes. Votre tableau autour du PianoFantin-Latour, Autour du piano, F.1194. est trop mal placé chez Mme Edwards pour pouvoir je juger entièrement ; je ne peux que dire que tout ce que j’y vois est admirable, le portrait de Maitre me paraît le plus beau et aussi celui du pianiste ; toutes les mains sont d’une finesse extraordinaire. Il me semble que le critique (derrière le pianiste) pourrait ôter son chapeau devant des hommes si remarquables et sérieux. Celui près du pianiste m’a encore plu énormément, et celui tout près du cadre à droite.Le critique est Adolphe Jullien, le pianiste Emmanuel Chabrier, et celui près du cadre à droite est Amédée Pigeon, romancier, critique d’art. Je suis bien curieux de voir le tableau en pleine lumière et bien placé ; je suis bien content que vous m’envoyez une photographie qui sera pour moi un souvenir du tableau.

Comment allez-vous ? Mme Edwards m’a dit, il y a quelque temps, que Madame a souffert des yeux, mais aussi qu’elle allait mieux et nous espérons qu’elle est tout à fait rétablie maintenant. Nous avons été en province pour quelque temps et j’y ai peint quelques portraits, c’est bien rude de faire des portraits, je ne m’en plaindrais pas cependant si on n’y perdait pas tant de temps. Je vous ai envoyé aujourd’hui un carton avec des reproductions d’une suite de dessins de Chodowiecki,Daniel Nikolaus Chodowiecki (1726-1801) peintre, graveur et illustrateur allemand, célèbre pour ses eaux-fortes et ses illustrations d’œuvres de Schiller, Cervantès et Shakespeare. je trouve qu’il y en a de bien intéressants, peut-être vous les avez déjà vus ; je vous prie de les accepter, j’ai aussi fait un pastel pour vous que je vous enverrai un de ces jours, et j’espère que le sujet ne vous choquera pas.Scholderer, Selbstbildnis, B.252. Je n’y mets pas de verre et un cadre très léger pour qu’il ne s’abîme pas trop en route, je peux dire qu’en le faisant j’ai bien souvent pensé à vous, seulement je me demande s’il y aura chez vous encore un petit coin où vous pourriez le mettre, je n’ai pas la prétention d’être suspendu sur la cimaise ? Je vous écrirai quand je vous l’enverrai.

Nous vous envoyons tous nos souhaits pour le nouvel an, quoiqu’ils sont bien retardés et espérons que vous soyez en bonne santé. Quant à nous, nous sommes assez bien, Victor envoie à sa tante Fantin son nouveau portrait. Il est bien gai et vif et pas du tout bête, il fait des progrès et sait bien lire l’allemand et l’anglais.

Adieu, nos meilleurs compliments pour vous et Madame, nous vous prions de nous rappeler aussi au bon souvenir de Monsieur et Madame Dubourg, et Mlle Charlotte

Votre ami Otto Scholderer